En parler, c’est déjà être raciste. Pourtant, la discrimination à l’embauche envers les Blancs est une réalité bien mesurable dans la société française. Enquête.
Pour travailler ici, il vaut mieux bien connaître notre type de clientèle. La phrase du gérant est lourde de sous-entendus. Dans cette petite boutique de téléphonie mobile, au milieu d’étagères encombrées de cellulaires à prix cassés, la clientèle est d’un type qu’on ne présente plus : nous sommes à la Goutte-d’Or, “quartier ethnique” de Paris, dans le XVIIIe arrondissement. Ici, achats de forfaits pour l’étranger et déblocages de carte Sim occupent les vendeurs en français comme en arabe. Pas un seul n’est blanc. Pas plus que dans les boutiques environnantes, étals d’épices, coiffeurs afro, marchands de tissus africains ou de produits exotiques, qui résistent encore à la montée des loyers et à la gentrification.
Le vendeur de téléphones a dit non. Nous reprenons notre recherche, de magasin en magasin, en quête d’un job d’étudiant, même pour une bouchée de pain, et la première réponse qui vient est toujours la même : « On ne cherche personne. » Certains visages affichent même la surprise devant la saugrenuité de notre demande. « Vous êtes un touriste ? », interroge, tout sourire, une vendeuse de vêtements congolais aux couleurs brun et blanc dont elle porte elle-même une panoplie complète. « Moi, je ne prends que des jeunes gars bosseurs », confesse avec méfiance un vieux poissonnier noir en tablier blanc. Le cliché du Français fainéant a la vie dure.....
Poursuivant la recherche au téléphone, où la couleur de peau ne se voit pas, nous constatons bien vite qu’elle s’entend. Une petite enquête auprès de coiffeurs et salons de beauté pour femmes noires les montre bien rétifs à notre candidature, quand bien même ils ont mis des annonces de recrutement sur Internet. « Vous êtes passés par où ? Jean Louis David ? Ils ne traitent pas les cheveux crépus, non ? » De coup de fil en coup de fil, notre CV modèle de coiffeur pour dames se révèle aussi utile que celui d’un toiletteur pour caniches. « Votre profil est un peu classique. Nous, c’est des méthodes différentes, des ambiances différentes… La mise en plis, chez nous, c’est très différent. » La plupart du temps, il suffit d’énoncer son nom pour recevoir un non, accompagné de l’excuse d’usage : « Le poste a été pourvu. »
Le soir, dans un bar à chicha enfumé et bruyant, où les consommateurs sont de toutes origines à la différence des employés, Bilal, un serveur d’ascendance maghrébine, commente notre recherche infructueuse et aborde sans artifice et sans complexe la discrimination anti-Blanc. « Pour te servir le thé à la menthe, tu préfères Rachid ou bien Astérix ? Le client, je peux te dire qu’il préfère Rachid, comme il préfère Chang au resto chinois ou Erwan à la crêperie », affirme-t-il, avant de nuancer : « Bien sûr qu’il y a aussi un peu de “j’emploie mon cousin de la cité”, on ne va pas se mentir. Mais le délit de sale gueule à l’embauche, c’est d’abord les “rebeus” qui le subissent. C’est normal qu’on s’entraide après. » “Légitime” cooptation face à la solidarité des “Gaulois” qui refuseraient des emplois à ces jeunes musulmanes voilées dont les difficultés, complaisamment mises en scène par les grands médias, sont dans tous les esprits, celui de Bilal compris.
Cette cooptation n’est pas une nouveauté. « Il y a belle lurette que certains secteurs très communautarisés ne font plus d’annonces de recrutement chez nous », confirme une ancienne responsable à Pôle emploi. Aujourd’hui passée dans une autre administration, elle ne veut pas que l’on occulte les raisons économiques qui pousseraient des Français de branche à refuser d’embaucher des Français de souche, réputés plus cher payés, mais ne nie pas non plus l’existence d’une solidarité ethnique. « Instinctivement, rapporte-t-elle, nos conseillers ont tendance à ne pas orienter les demandeurs d’emploi vers certaines offres à cause de ça. On sait bien qui sera embauché dans un kebab et qui ne le sera pas. » Ces petites entreprises sont épargnées par les enquêtes sociologiques, qui ne réalisent leurs “testings” de discrimination à l’embauche que sur de grands groupes. Ce qui a au moins permis de confrmer quelques réalités, comme la surreprésentation des Noirs parmi les vigiles de supermarchés.
À Montpellier, David, boxeur de 36 ans, a longtemps fait vigile dans plusieurs magasins de l’agglomération. Il en tire ce constat ironique : « Les crânes rasés balèzes, ça passe mieux quand on est noir. » Montpellier a aussi sa Goutte-d’Or : le quartier du Petit-Bard, où, selon David, les grandes surfaces tiennent bien compte de leur clientèle communautaire. « Quand j’étais vigile et que j’attrapais un Arabe à voler, il prétendait que j’étais un skinhead, un facho, et il y avait parfois des clients pour le soutenir. Avec des vigiles noirs, c’est plus difficile de passer pour la victime. Et puis dans la tête des gens, les Blancs font moins peur que les Noirs. »
Il n’en dira pas plus. Parler de racisme anti-Blanc, c’est prendre le risque de passer à son tour pour un raciste. Pour Laurent de Béchade, président de l’Organisation de lutte contre le racisme anti-Blanc (Olra), « un mélange de crainte et de honte » réduit au silence les Blancs victimes de discrimination à l’emploi. « La grande majorité a beaucoup de mal à concevoir qu’une personne blanche puisse être concernée par ce problème. »
L’Olra tente de recueillir ces douloureux témoignages, souvent anonymes, comme celui de cette femme de ménage en école à Paris, qui s’est retrouvée isolée au milieu d’un personnel ethniquement homogène qui ne parlait plus français et la poussait à quitter l’établissement par tous les moyens. Ou celui de ce boulanger quadragénaire, à Toulouse, qui, après le dépôt de bilan de son précédent employeur, n’a pas retrouvé de travail dans un milieu boulanger fortement communautarisé et a dû quitter son quartier.
Le white flight, le départ des Blancs des endroits où l’immigration sévit, « pourrait être en relation directe avec des discriminations à l’embauche », s’inquiète Laurent de Béchade. Des discriminations anti-Blanc qui continuent de n’être qu’une « invention de l’extrême droite » aux yeux de la plupart des associations antiracistes.